[Hors-série] Le Royaume des Abysses : Le joyau d'animation aquicole venu de Chine
- Jirolondon
- 16 oct. 2024
- 6 min de lecture

Une fois n’est pas coutume, il faut que je parle d’un film. Un film dont le visionnage représente la transition entre un avant et un après dans ma vie. Une fois les portes de sorties franchies, mes rétines légèrement irritées par le retour aux lumières de la ville, je savais en sortant du cinéma que j’avais eu affaire à une œuvre qui m’accompagnerait désormais pour toujours. Nombreux sont les films que j’adore par pur plaisir esthétique mais aux propos me laissant indifférent, ou à l’inverse ceux que j’aime pour leurs discours sachant me faire vibrer mais dont les visuels ne me transportent pas. La dualité entre le propos et la mise en scène est un élément qui compte beaucoup dans mon appréciation des films et séries que je regarde. Le magnum opus dont je vais parler a réussi l’exploit d’équilibrer au mieux ces deux ingrédients pour parvenir à un juste milieu comme j’en ai rarement vu ailleurs. D’une beauté à couper le souffle et délivrant un message chaleureusement sincère, laissez-moi vous présenter Le Royaume des Abysses.

Le Royaume des Abysses est un film d’animation chinois réalisé par Tian Xiaopeng, sorti initialement en 2023 en Chine puis parvenu dans nos frontières en février 2024 par je ne sais quel miracle… Le film représente 7 ans de travail acharné. Le studio a traversé des lacunes techniques, deux dégâts des eaux et une pandémie sans jamais renoncer à l’idée de sortir son film en salle. Un bel exemple de persévérance. J’ai décidé de vous épargner un quelconque résumé de synopsis pour la simple et bonne raison que j’attribuerais à ce film le qualificatif d’expérience à vivre et non à décrire. Je préfère que mes divagations et les quelques images d’illustrations que j’utilise servent à attiser votre curiosité sans vous gâcher le plaisir de plonger à pied joint dans cet univers si enchanteur.

Je pense pouvoir dire sans hésitation que c’est le plus beau film en animation 3D qu’il m’ait été donné de voir. De la modélisation des textures, allant de la peau, la fourrure ou vêtement des personnages, en passant par la beauté de la composition des décors et des effets de particules ou halo de lumières, nos yeux sont charmés à chaque micro-instant. Le tout allié avec des techniques de peinture à l’encre de Chine et impressionniste, vous obtenez un résultat d’une générosité picturale débordante, convoquant des mouvement artistiques divers et variés. Mention spéciale à la conception des liquides et surtout de l’eau, que celle-ci apparaisse sous forme de pluie, de vagues ou de vapeur, on est sur un niveau de rendu similaire à ce que pouvait proposer Avatar 2. À chaque nouveau visionnage, un nouveau détail peut-être aperçu, signifiant le travail d’orfèvre opéré par les équipes du film pour rendre chaque scène pleine de vie. Chaque plan déborde d’une énergie enveloppante qui pourra peut-être en épuiser certains.
Ce qui est le cas de l’animation également. La façon de bouger des personnages, très loin des standards de Pixar, adopte une surabondance de mouvance corporelle et faciale qui peut déconcerter au premier abord. Les protagonistes se meuvent à de nombreux moments tels des marionnettes désarticulés, adoptant des postures que l’on aurait d’avantage l’habitude de voir dans un cartoon des Tex Avery. Pour autant, en contrepartie de ces chapitres déjantés, le film délivre aussi des instants de quiétude absolument réconfortants, où les personnages délaissent leur énergie frénétique pour laisser s’exprimer toute leur douceur émotionnelle. J’ai été particulièrement ému par la musique également. Opérant un travail similaire aux premiers films de Disney où la synchronisation à l’image était de mise, celle-ci accompagne avec brio les scènes les plus mouvementées du film, où même les bruitages et gestuelles des personnages semblent avoir été pris en compte dans l’orchestration. La bande-son adopte aussi la technique d’un même leitmotiv détourné selon plusieurs registres, ambiances et tons. Un travail de réutilisation thématique qui me plaît beaucoup. Enfin, les passages où les chœurs laissent s’envoler leur voix sont les plus frissonnants à écouter.

Mais ce qui porte le film selon moi, ce sont ses personnages. Tous attachants par leur attitude ou design, ils remplissent chaque lieu d’une aura réjouissante qui saura vous faire sourire. Les petites loutres de mer et leur bouille potelée ou encore les phoques et leur bonhommie adoucissante sont autant de compagnons de voyage qui nous font souhaiter que le trajet ne s’arrête jamais.

Si la principale protagoniste n’a pas volé mon cœur pour son attitude un peu trop passive à mon goût, j’ai été en revanche chamboulé par le personnage de Nanhe. Je n’irais pas plus loin que la simple évocation de son nom et ne détaillerais pas ici son poids dans l’histoire. J’irais droit au but quand à son égard, il est devenu un de mes personnages de fiction préféré… Déployant une palette incroyablement variée d’émotions différentes, le personnage vole la vedette dès lors qu’il est présent à l’écran. Tantôt ridicule, tantôt réfléchi, tantôt grandiloquent, tantôt raisonné, Nanhe nous saisit par les émotions et ne plaira peut-être pas à tous. Mais ses imperfections sont autant de contrepoids à ses qualités humaines qui sauront faire vibrer une corde sensible chez nous. Les plus grands morceaux de bravoure du film lui sont dédié, où il est mis en scène de façon abondamment stylisée et irrationnelle. Plus globalement, il émane quelque chose de rassurant chez Nanhe, j’ai rarement été aussi réconforté par un personne fictionnel. (L’incroyable interprétation du doubleur Maxime Van Santfoort y est pour quelque chose, je vous recommande chaudement de voir le film en VF d’ailleurs)
Tout le propos du film tient sur les épaules de Nanhe. En ce sens qu’il déploie énormément d’énergie pour nous épater mais c’est dans ses efforts les plus moindres qu’il nous émeut le plus. Le film nous donne l’impression de pouvoir être tout à la fois, de par les moyens techniques qu’il dispose, mais décide de se recentrer sur des choses beaucoup plus terre à terre en mettant de côté les artifices chatoyants visuellement. C’est après une révélation tardive dans le récit, certes cruelle mais nécessaire, et un torrent tout aussi picturale que sentimentale, que le film déclare ce qu’il a dire dans une quiétude alors surprenante par rapport à la folie à laquelle il nous a habitué. Certain y verront peut-être de la mièvrerie, j’y ai vu une déclaration pleine de franchise me donnant l’impression d’être pris dans les bras par le film. Sa dernière réplique me rappelle avec douceur à quel point l’empathie est une capacité infiniment précieuse qui doit être partagée sans limite.

Après tout ce que je viens de dire, il me semble important de préciser cela, Le Royaume des Abysses nécessite un temps de préparation. C’est un sacré grand huit qui vous attend au moment de lancer la lecture du film. Je ne pourrais que vous conseiller de vous réserver un temps apaisé, seul ou en bonne compagnie réduite pour apprécier son visionnage à sa juste valeur, coupé de toute distraction extérieure, installé confortablement, de préférence avec un écran de taille pas trop réduite pour capter toute sa splendeur visuelle. Il ne vous sera sûrement pas facile d’y entrer mais il vous sera encore plus difficile d’en ressortir tellement le retour à la réalité se fait ressentir comme une claque. Vous sentirez peut-être une sorte d’overdose, d’indigestion quant au déferlement d’images épileptiques qui s’abattra devant vous. (Prudence si vous êtes sensible à cela) Vous vous plaindrez peut-être également de la résolution de l’histoire au pathos exagéré et au retournement scénaristique qui vous semblera trop évident si vous êtes assez attentif. Mais je vous conseille de laisser une chance à ce film pour ce qu’il représente, à savoir une sortie en dehors des sentiers battus de l’animation auxquels nous sommes habitués. Il dénote tellement du carcan dans lequel sont enrobés la plupart des productions Disney et Dreamworks, autant via sa direction artistique que par la gravité de certains thèmes abordés qui échapperont peut-être aux enfants, que son visionnage s’équivaut à une escapade improvisée dont on ressort harassé mais la tête aérée...

Si je peux permettre de faire découvrir le film à une infime partie de gens, je serais déjà content. Je suis tristement étonné de constater que quasiment personne n'a parlé de ce film ni n'a soulevé le chamboulement artistique qu'il représente. Le Royaume des Abysses est un film qui va très bien vieillir, je prends le pari risqué de penser que bon nombres de productions animées contemporaines à lui auront l'air datées. De mon côté, là où le film a le plus marché, c'est dans le réconfort qu'il apporte dans un espace qui m'oppresse rien que d'y songer, à savoir les fonds marins... Je suis stressé par l'aura de mystère qui entoure nos crevasses aquatiques et ce film propose une vision réchauffante qui est la bienvenue pour oublier la glaçante réalité de nos abysses. Un apaisement similaire à ce que j'ai vécu avec les jeux Super Mario Galaxy qui me font oublier l'infinité opprimante de notre univers en proposant une aventure pleine de joyeusetés enfantines à travers la voie lactée. C'est une chance rare de pouvoir dire merci à une œuvre. Je vous souhaite de vivre ce genre d'échange.
Merci

Par Jirolondon
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