Professeur Layton vs. Phoenix Wright : Ace Attorney : Un magnum opus bancal
- Jirolondon
- 1 sept.
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 sept.

Par une nuit orageuse à Londres, le professeur Layton et son apprenti Luke reçoivent la visite
de la mystérieuse Aria Novella, une jeune fille qui prétend être poursuivie par des sorcières. Le lendemain matin, Phoenix Wright et son assistante Maya sont convoqués par le tribunal britannique pour prendre la défense de cette même Aria accusée d'agression et de vol... Tel est le début de l'aventure de nos quatre héros qui va les mener jusqu'à la fantastique citée de Labyrinthia, aux frontières du réel et de la magie...
Un projet à l'aura mystique
Il est temps d'aborder l'une de mes sagas préférées à savoir Professeur Layton. C'est une série de jeu qui m'a accompagné tout le long de mon adolescence et fait tenir ma DS durant des après-midi entiers après les cours alors que j'essayais de résoudre cette fichue énigme me retenant dans l'avancement de l'histoire. Le style graphique et l'ambiance musicale sont les deux choses qui m'ont tout de suite attiré dans les spots publicitaires de La Boîte de Pandore devant lesquels j'ai eu la chance de tomber en regardant la télé.
La Boîte de Pandore est peut-être le deuxième ou troisième jeu que j'ai obtenu sur ma DS, le premier arrivé étant New Super Mario Bros. J'ai acheté tous les opus qui ont suivi. Chez moi, cette console et cette licence sont indissociables. Je parlerai sans doute de cette saga dans un autre article car le sujet de celui-ci est différent mais je veux bien vous faire comprendre que Professeur Layton est une œuvre charnière pour moi, autant dans ce qu'elle m'a inspiré que dans ce qu'elle m'a apporté d'un point de vue émotionnel. L'histoire, la musique, les décors continuent d'habiter mon espace mental tandis que le professeur Layton en lui-même est un de mes personnages de fiction préféré. Il fut un idole, une icône, un héros dont les propos ont grandement impacté ma façon de me comporter ou de me tenir dans la vie.
Voilà le contexte de placé. Je vous laisse imaginer ma surprise lorsque je tombasse (oui oui c'est la bonne conjugaison) sur un teaser pour un nouveau jeu Layton en surfant sur Internet. Nous sommes en 2011.
Un superbe trailer en animation dont je ne capte pas un mot mais qui m'en met plein la vue.
Le professeur et son apprenti sont projetés dans un monde de "dark fantasy" où la chasse aux sorcières et les parades chevaleresques vont bon train. Que Layton soit tombé dans une contrée éloignée aux normes bien différentes de l'Europe à laquelle il m'a habitué dans ses précédentes aventures ou bien qu'il ait voyagé dans le temps, cela je pouvais me le figurer. Mais ce qui m'a le plus interrogé et laissé sans explication, c'est ce grand gaillard bleu aux cheveux hérissés... Qui est donc ce type qui pointe d'un air menaçant mon prof préféré ?
Investigation sur l'autre hérisson bleu
J'ignorais alors tout de ce que pouvait bien être Ace Attorney (que je croyais être le nom du personnage) ou bien même Capcom à ce moment-là. C'est en grandissant et en alimentant ma culture vidéoludique au fur et à mesure des années que les réponses ont commencé à apparaître. Je finis par apprendre l'existence des "visuals novels" que sont les Ace Attorney, je regarde un let's play du 1er jeu pour faire la connaissance de Phoenix Wright et Maya Fay.
Petit à petit, j'accumulais des indices sur l'identité de ces personnages qui allaient être les partenaires de la nouvelle aventure de mon professeur adoré. Cependant ces indices allaient devoir rester dans un tiroir scellé de mon esprit pendant plusieurs année car ce jeu, qui s'annonce donc être un crossover entre les deux saga, verra beaucoup de temps à atteindre nos frontières européennes.

J'ai donc continué à suivre la saga Layton, qui se poursuivait sur DS et 3DS, avec ces éléments en tête qui m'intriguaient, avec l'ardent désir d'obtenir enfin des réponses sur le rôle que joueraient Phoenix Wright et Maya Fey, sur la façon dont ils avaient rencontré Layton et Luke. L'aura de mystère autour de ce projet presque secret n'a fait que s'accroître au fur et à mesure que le temps passait. Comme beaucoup, je suis tombé amoureux de la musique d'Ace Attorney, et les thèmes Objection ou Cornered tournaient régulièrement dans mes playlists personnelles.
Mais pour autant, je n'avais pas rattrapé les jeux développés par Capcom. Je ne vivais que par ces références visuelles et musicales, sans aucune idée de savoir si cela me plairait ou non en y jouant. C'est donc après une attente interminable, alors que ma saga préférée s'était conclue avec l'épisode final, L'Héritage des Aslantes, que le jeu Professeur Layton vs. Phoenix Wright : Ace Attorney est finalement sorti en France en 2014. Je me souviens m'être rué au Cultura proche de chez moi pour me l'acheter. Ce qui allait être ma première expérience avec la saga Ace Attorney allait enfin arriver, et tous les mystères sur l'implication de Wright dans cette aventure allaient être levés.

Une histoire aux ambitions démesurées...
Je suis extrêmement emballé par le jeu lorsque j'y joue. J'y retrouve tout ce qui m'a plu dans les Layton, notamment une ambiance oscillant entre une quiétude réconfortante et une atmosphère lugubre, une musique absolument somptueuse et une histoire prenante de bout en bout. Les cinématiques sont d'une qualité sidérante et bénéficient du savoir-faire du studio Bones, qui est derrière des œuvres comme Wolf's Rain ou Space Dandy. Les énigmes, quant à elles, ont été superbement traitées : à de nombreuses reprises, des séquences animées viennent dynamiser leur résolution. Le contexte médiéval dans lequel baignent nos héros sied à merveille au climat des jeux Layton, déjà teintés de superstitions et de prodiges n'attendant que d'être résolus par mon archéologue préféré. La cité de Labyrinthia sera le théâtre d'événements sinistres grisants...
Concernant les phases de procès mettant en scène notre avocat hirsute, ce sont sûrement mes passages favoris. Les créateurs principaux des deux sagas, à savoir Akihiro Hino et Shu Takumi, ont indiqué dans une interview avec Satoru Iwata que la pratique de la chasse aux sorcières était un prétexte idéal pour inclure Phoenix Wright, qui viendrait alors défendre les accusées durant le procès qui leur est fait. Cependant, quelque chose rend ces arcs narratifs encore plus captivants. Les jeux Ace Attorney sont dynamiques, colorés et débordent d'énergie, les bulles d'exclamation surgissant de l'écran donnant aux séquences de procès des allures de farces ou de sketchs. Dans ce jeu, les procès de sorcières sont terriblement lugubres : le bûcher est présent dans la même pièce que la cour et l'accusée est suspendue dans une cage s'apparentant à une vierge de fer... Layton et Wright sont confrontés à une véritable inquisition dans tout ce qu'elle a de plus infâme. Leur attitude d'hommes de la société occidentale contemporaine se retrouve chamboulée ; ce n'est pas le monde qu'ils connaissent, et ils vont devoir s'y plier.
C'est aussi durant les phases de procès que nos deux héros sont les plus brillamment mis en scène. Il y a quelque chose de grisant à les voir côte à côte, pointant simultanément le véritable coupable de leur index pourfendeur d'injustice. Inconnus dans la cité de Labyrinthia, dont ils ignorent tout, les voilà projetés sous la lumière des torches devant une assemblée incrédule et stupéfaite de leurs capacités de déduction et de raisonnement. Ils volent même la vedette à l'inquisiteur William Garnet, réputé pour n'avoir perdu aucun procès et qui est érigé en véritable légende protectrice contre la magie noire qui menace les villageois. C'est durant les procès que les moments les plus comiques ont lieu. Que ce soit la confusion des habitants de Labyrinthia qui peinent à nommer clairement ce que sont nos deux héros, Layton se voyant d'ailleurs attribuer le sobriquet élégant de "Chapelier érudit", ou encore l'attitude maladroite de plusieurs témoins transformant la cour en véritable foire, l'humour n'est pas desservi. Nous retrouvons ce ton décalé qui faisait la force des jeux Ace Attorney, où, malgré l'enjeu grave concernant la libération d'une personne injustement condamnée à mort, les blagues pouvaient quand même fuser.
Enfin, les moments les plus dramatiques se déroulent justement à la barre des témoins. Révélations déchirantes et twists renversants, remettant en cause la vérité des événements, sont au rendez-vous. Il n'est pas rare d'être parcourus de frissons lorsque la possibilité que la véritable sorcière soit parmi nos protagonistes se fait de plus en plus grande... La mécanique des témoins multiples est quelque chose d'innovant et d'osé pour la saga Ace Attorney. Notre avocat ne peut plus seulement avoir les yeux sur son dossier de l'affaire, il doit désormais relever la moindre réaction louche chez les témoins qui peuvent venir à se contredire entre eux.


En bref, les procès sont des phases chaleureuses en huis clos, avec ce décor boisé, cette police d'écriture gothique et ces personnages rappelant des archétypes de contes de fées, avant de sombrer dans un climat de suspicion pesante où l'identité du simple voisin de barreau est clairement mise en doute... Pour parfaire cela, l'alliance parfaite des thèmes musicaux de Layton et d'Ace Attorney se jouant tour à tour lors des interventions de nos héros est purement jouissive. Le thème de Layton est tout trouvé pour accompagner ses objections. Je suis d'ailleurs ravi de lire des commentaires de fans d'Ace Attorney déclarant qu'il s'agit du meilleur thème du jeu.
La totalités des thèmes que nous connaissions sont réorchestrés afin de coller parfaitement à cette ère médiévale. Nous étions habitués aux teintes résolument modernes de la musique de Ace Attorney. Désormais les mélodies emblématiques de procès sont jouées à l'aide de cordes frottées baroques, de harpes féériques, de cuivres fanfaronnant et de vibraphones dont la sonorité cristalline englobe ce récit de sorcellerie d'une aura macabre. Enfin l'accordéon typique des musiques de Layton n'est jamais vraiment loin, il est surtout utilisé dans un registre comique pour accompagner les débordements loufoques des témoins de barres transformant la cour en disputes de comptoirs d'une taverne.
De façon générale, les musiques propres à Layton ont droit à moins d'ajustements car déjà proches de l'esthétique recherchée pour le jeu dans leur forme d'origine. Mais nous pouvons noter des modifications de très bon goût comme dans le thème de Layton où la présence de ce basson résonnant dans une tessiture très grave donne au professeur des allures de vieux sage archiviste détenteur d'un savoir ancestral. Instrument que nous retrouvons dans le thème Les déductions de Layton, inoubliable pour les fans de la saga car audible pour la première fois dans une scène mémorable de l'opus Le Destin Perdu, qui s'accorde parfaitement au décorticage mental opéré par le professeur lorsqu'il dénoue les nœuds les plus épais de l'intrigue.
C'est une aventure de plus d'une trentaine d'heures qui nous est permise de vivre, mettant en scène une myriade de personnages. Nous percevons le savoir-faire des scénaristes d'Ace Attorney, capables de donner à des personnages jusqu'alors insignifiants un vrai moment de gloire où ils volent la vedette à nos héros. Les coupables des procès sont des individus aux motivations claires et compréhensibles, dont le destin suscite notre empathie avec justesse. De plus, je ne l'ai pas encore mentionné, mais les personnages les mieux écrits du jeu sont sans conteste les personnages féminins, une qualité que je trouve, hélas, trop rare dans les jeux Layton, mais plus présente chez Ace Attorney. En effet, ce contexte de chasse aux sorcières que nous présente le jeu implique tragiquement un mode de vie rempli de craintes pour les femmes peuplant Labyrinthia, qui peuvent se retrouver soupçonnées d'actes de sorcellerie à cause de leur genre. Inévitablement, bien que le jeu n'aborde pas frontalement cette thématique, il ressort de l'histoire un aspect féministe qui est le bienvenu. Pour exister dans ce monde aux mœurs cruelles, où la possibilité que la sorcellerie puisse être pratiquée par un homme n'est même pas envisagée, les personnages féminins redoublent d'ingéniosité et de malice pour ne serait-ce que vivre paisiblement.
... Mais aux piliers bancals
Venir au secours de femmes opprimées en combattant l'étroitesse d'esprit d'une civilisation vivant dans un obscurantisme prononcé, avec pour seules armes la capacité de raisonnement et de déduction rationnelle, voilà une noble quête. Les croyances infondées et les conventions inégales imposées par Labyrinthia seront héroïquement bouleversées par l'intervention de Layton et Wright, qui feront comprendre aux habitants de cette cité qu'il est dangereux de se reposer sur ce que l'on ne voit pas. Ils seront les bourreaux de la désinformation et de la superstition. Tout au long de l'aventure, ils utiliseront les propres armes des inquisiteurs pourfendeurs de sorcières et les retourneront contre eux pour leur faire réaliser toute l'absurdité morbide de leurs actes.
Cependant, de nombreuses réalisations et vérités dévoilées verront leur impact grandement réduit par notre incrédulité de joueurs. Très souvent, les explications données par nos protagonistes regorgent d'approximations et de capillotractages, conférant à la vérité un côté bancal à peine plus croyable que ce qui était suggéré au départ. Je tairai les révélations faites, mais très souvent, il nous est demandé de ne pas trop réfléchir à l'explication d'un mystère, l'effet de surprise ayant été privilégié par rapport à la tangibilité de l'histoire. Les plot holes s'accumulent dans notre tête une fois l'histoire achevée, et il est extrêmement simple de déconstruire le plan des antagonistes, qui tient en une succession de réussites miraculeuses et de coïncidences beaucoup trop invraisemblables.
Par ailleurs, le traitement des personnages est terriblement inégal. Layton accapare beaucoup trop l'attention en ce qui concerne son implication dans l'histoire, à tel point que Wright et Maya sont souvent relégués à de simples suiveurs de ses consignes. Le comble, c'est que Layton lui-même intervient lors des tutoriels guidant Wright dans le premier procès de sorcière à mener. Pour revenir sur Maya, un aspect entier de son personnage a dû être effacé pour permettre la bonne tenue de l'intrigue. Dans les jeux Ace Attorney, Maya est une médium capable de communiquer avec les morts et même de laisser les défunts prendre le contrôle de son enveloppe corporelle afin de communiquer avec Wright. Un pouvoir absolument inconciliable avec l'environnement de Labyrinthia, puisqu'à la moindre occurrence de cette capacité, elle serait immédiatement accusée de sorcellerie et jetée au bûcher sans sommation. Wright et Maya éludent donc totalement le pouvoir de cette dernière, comme si cela n'avait jamais existé dans leur propre diégèse, alors qu'il s'agit d'un pan entier du personnage qui mène aux embranchements scénaristiques souvent les plus impressionnants. Je suppose que la question s'est posée chez les développeurs, mais faire cohabiter des actes de médium en plein cœur d'une civilisation inquisitrice était purement irréalisable avec les idées fondatrices des deux studios. De plus, un tel pouvoir aurait ruiné la quête des héros pour trouver des réponses, puisque Maya aurait été capable de déterminer l'identité d'une sorcière par une simple interrogation de sa victime.

Une colocation difficile entre un avocat et un archéologue
Hélas, la volonté de crossover du titre conduit parfois à des cohabitations difficiles entre les esthétiques des deux sagas. Le pari est risqué avant même son départ, puisque Layton évolue dans une sorte d'uchronie où l'esthétique des années 50 serait devenue la norme, tandis qu'Ace Attorney se déroule dans une époque d'anticipation remplie de nouvelles technologies high-tech. Les deux héros n'appartiennent pas à la même décennie, et pourtant il leur est demandé de coexister. Les développeurs y parviennent un peu maladroitement. Cependant d'un point de vue musical, le contrat est largement rempli. D'un point de vue sonore également. Le bruitage du défilement des boîtes de dialogue s'adaptant différemment selon qu'il s'agit d'un personnage de Layton ou d'Ace Attorney qui parle est une idée discrète pleine de charme.
Il y a cependant des lacunes en ce qui concerne les décors ou le chara design. Les jeux Layton sont réputés pour nous présenter des villes aux architectures étranges et doucement exagérées, où l'appel du mystère et des énigmes se fait ressentir jusqu'aux pierres des bâtiments que nous explorons. Prenons pour exemple la ville de Saint Mystère de l'Étrange Village, avec ses maisons aux toitures bizarrement voûtées baignant dans un ton chaud orangé. Sans oublier sa tour principale ! Ou encore la démesure steampunk du Londres du futur dans Le Destin Perdu, où pipelines et engrenages débordent de chaque rue. Le tout rempli de PNJ aux disproportions anatomiques prononcées rappelant des figurants des Triplettes de Belleville.
Bien que les possibilités offertes par l'écran 3D de la 3DS permettent à ses décors de prendre beaucoup d'ampleur, Labyrinthia est, somme toute, une cité sensée, conçue intelligemment et ergonomiquement selon les principes de la civilisation occidentale médiévale. On peut peut-être noter une légère démesure dans l'aspect gothique d'un ou deux bâtiments, mais rien ne sort de l'ordinaire. En conséquence, les personnages répondant aux critères morphologiques d'Ace Attorney s'y incorporent bien mieux que ceux lorgnant du côté de Layton. Bizarrement, ceux-ci sont moins nombreux, et on arrive à ce constat ironique où Layton et Luke sont les deux énergumènes qui dénotent le plus dans le théâtre de leur propre aventure. Le jeu leur est dédié, mais ils semblent ne pas en provenir...

Une idée radicale n'a d'ailleurs pas été retenue dans le jeu final. Les développeurs avaient pour concept que les designs des personnages changent selon le jeu dont est tirée la phase de gameplay se jouant. Ainsi, pour les phases d'énigmes, Wright et Maya devaient avoir ce look "chibi" pour coller à l'ambiance de Layton, et inversement pour les phases de procès où le professeur devait arborer un look carrément étiré et classieux.

Cet exercice de jonglage fut bien périlleux pour Level-5 et Capcom où, on le sent bien, chacun a dû trancher difficilement pour contenter les deux univers présentés. Il est d'autant plus passionnant de plonger dans le cut-content du jeu pour se rendre compte de l'envergure démesurée que représente ce projet.
Une histoire inachevée qui aurait peut-être mérité un autre médium
En lien avec ce que je détaillais plus haut, et c'est le seul spoiler que je ferai concernant l'histoire : la rivalité suggérée dans le titre n'intervient que durant les trois dernières heures du jeu. En effet, nos deux héros ne s'opposent réellement lors d'un duel d'esprit que lors de la dernière partie de l'épilogue. Alors que l'enquête touche à sa fin et que l'ultime procès de sorcière est lancé, Layton se retrouve de l'autre côté de la cour, remplissant le rôle de procureur, ou comme le veut l'époque dans laquelle il se trouve, d'inquisiteur. Les fans d'Ace Attorney s'accordent à dire que l'archéologue est parmi les adversaires les plus redoutables qu'aura eu à affronter Wright. Pour la simple et bonne raison qu'il occupe son rôle à merveille et de la façon la plus textuelle possible. Nombreux sont les procureurs de la saga Ace Attorney à s'opposer à Wright uniquement parce qu'ils ont un différent avec lui, par ego, allant même jusqu'à manipuler des preuves ou des témoins. Layton, de son côté, est le procureur le plus juste, honnête et dévoué à sa cause, donc le moins facilement bernable. C'est cela qui le rend terriblement efficace. Pas de coup bas, pas de guerre d'ego, Wright devra jouer selon les vraies règles de la justice.
Nous aurions aimé voir cette confrontation dès le premier chapitre du jeu, et c'est peut-être ce qui était prévu à la base. C'est du moins ce que suggère le premier teaser que je présentais en début d'article. Layton apparaît en premier à l'écran, déjà dans son rôle d'inquisiteur, accusant Aria Novella d'acte de sorcellerie. Wright surgit de l'ombre, le doigt tendu pour lui signifier qu'une contradiction se trouve dans son attaque. Le trailer montre clairement nos deux équipes de détectives dans une course aux indices pour déterminer le vainqueur du procès et le sort d'Aria. Nous pouvons d'ailleurs bien sentir la méfiance réciproque qui règne.

Layton : Même ceux qui respectent la loi ne disent pas toujours la vérité, Luke.
Wright : Pour être honnête, il ne m'inspire pas confiance avec son chapeau...
Des illustrations préparatoires nous révèlent que d'autres personnages étaient prévus pour faire partie de l'intrigue, comme Paul Defès ou Benjamin Hunter d'Ace Attorney. Ce dernier fait d'ailleurs un sympathique caméo dans les épisodes téléchargeables gratuitement, venant poursuivre l'histoire après la conclusion. On aperçoit également dans ces mêmes illustrations des visuels de Wright, Layton et même Luke sous emprise démoniaque, avec un look démesurément sombre. Lavage de cerveau infligé par une sorcière ou double maléfique ? Cette timeline ne nous sera jamais révélée...
Tout ceci nous fait entrevoir des arcs narratifs encore plus fous, où les scénaristes auraient pu se lâcher sur les possibilités offertes par la magie de Labyrinthia. Après avoir exploré ceci, le jeu final apparaît un peu trop sage, en insinuant des choix décisifs, voire choquants pour les fans, qui sont hélas rapidement désamorcés. Au vu de la qualité des cinématiques, une série en animation aurait été le support idéal pour inclure toutes ces idées avortées. En explorant ces mêmes chapitres bonus mentionnés plus tôt, cette frustration s'accroît, puisqu'ils ne sont qu'un prétexte pour les personnages de briser le quatrième mur et de mentionner des anecdotes de développement abandonnées ou "privates jokes" propres aux deux sagas.
Une sortie française inespérée et de haute couture
J'aimerais enfin m'attarder sur un aspect que je juge difficilement éludable lorsqu'il s'agit de faire la critique de ce jeu.
La sortie en France de ce titre est un miracle.
Lorsqu'il est arrivé dans les rayons de Cultura en 2014, le dernier jeu Ace Attorney entièrement traduit en français datait de 2007. En 2013, le nouvel opus de la saga des avocats Dual Destinies sort sans aucune localisation en France. Après 6 ans d'attente, les joueurs français se retrouvent frustrés de ne pouvoir mettre la main que sur les versions anglaises du titre. Et voilà que le jeu Professeur Layton Vs. Phoenix Wright apparaît, intégralement traduit et doublé ! La localisation en France des dernières aventures de Wright attendra 2024 avec la sortie de la trilogie Ace Attorney Apollo Justice Trilogy, qui est un remaster des trois opus impliquant l'avocat Apollo, dont les deux derniers titres n'avaient jamais été traduits (Dual Destinies et Spirit of Justice). Comment expliquer qu'un projet mettant en scène l'avocat au trois-pièces bleu ait pu avoir droit à une traduction complète alors même que sa propre saga n'atteignait plus nos frontières hexagonales depuis de nombreuses années ?
Ma théorie est que le succès de Layton en France et en Europe a grandement facilité le travail de localisation et de traduction de ce jeu crossover à l'échelle globale, ramenant avec lui cette icône qui ne parlait plus qu'aux publics anglophone et nippon. J'ai eu la chance, comme tous les autres fans de Layton, de pouvoir jouer à ses jeux sans souffrir d'un délai trop long entre les sorties des titres. Les chapitres sont sortis successivement avec un rythme plaisant qui satisfaisait notre attente entre deux opus.
2008 : Étrange Village
2009 : La boîte de Pandore
2010 : Destin perdu
2011 : L'appel Du Spectre
2012 : Le Masque des Miracles
2013 : L'héritage des Aslantes
Un travail exemplaire de la part des éditeurs et traducteurs qui nous ont permis de vivre les aventures du gentleman chapeauté sans avoir à attendre plus d'un an pour la suite. Un schéma de parution radicalement différent de celui vécu par Ace Attorney, comme dit plus haut. J'émets l'hypothèse que la sortie de ce crossover a été abordée et réfléchie comme une énième aventure de Layton, un nouveau jeu à part entière de la licence avec simplement Phoenix Wright en invité surprise. Je pense que l'impopularité d'Ace Attorney n'a pas entaché la sortie de ce titre, puisqu'à la vue du logo du professeur, les fans allaient acheter ce titre sans se soucier de qui était Wright, le considérant comme un "jeu Layton" avant tout. On sent d'ailleurs que la couverture de la boîte s'inspire plus du look des jeux Layton, délaissant ce style en colonne propre aux jeux Ace Attorney.

Tout cela n'est que pure spéculation ; je n'ai vu ni lu nulle part que c'était le scénario qui s'était déroulé. Mais il m'est difficile d'envisager cela autrement, étant donné l'actualité vidéoludique de l'époque que je dépeins. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que la version française de ce jeu est exceptionnelle, proposant un casting cinq étoiles. Martial Leminoux reprend son rôle de Layton, tandis que Donald Reignoux prête sa voix pour la première apparition parlante de Wright. On peut noter également la participation mémorable d'Adeline Chetail en tant que Rose Morthem.
En dépit de ses nombreuses maladresses scénaristiques ou de sa difficulté pas toujours assez relevée (notamment pour ce qui est des énigmes), ce crossover reste un objet de curiosité absolument fascinant, à la direction artistique envoûtante et paré d'une bande-son magistrale. Il marque un tournant pour les deux studios que sont Level 5 et Capcom. La saga Layton allait se mettre en pause pendant presque dix avant que ne soit annoncé par surprise en 2023 Professeur Layton et le nouveau monde à vapeur tandis que la saga Ace Attorney allait continuer son déroulement en retenant les leçons de ce crossover. Ainsi, dans les deux derniers opus que sont les Great Ace Attorney Chronicles, sortis en 2015 et 2017, nous retrouvons la mécanique des témoignages multiples à mettre en confrontation ainsi qu'une ambiance délicieusement british avec une esthétique victorienne et un sosie de Sherlock Holmes allié à l'avocat, rappelant le rôle joué par le professeur auprès de Phoenix. Il est beau de remarquer qu'une sorte de parentage ait eu lieu entre les deux sagas... Il serait terriblement excitant de voir une nouvelle proposition de la sorte, avec la Switch 2 comme nouveau support de jeu pour un tel projet. Mais pour l'heure, rien n'est prévu. Bien que leur chemins respectifs ne semblent pas être amenés à se recroiser de sitôt, l'aventure partagée entre le professeur Layton et l'as des avocats Phoenix Wright demeure un épisode mémorable qui témoigne d'une époque de créativité débordante pour les point'n click.
En tant que fan de la première heure de Layton et appréciateur des jeux Ace Attorney, je porte ce jeu en haute estime. C'est peut-être le jeu le plus précieux que je possède et son aura de pépite introuvable en physique de nos jours me fait l'apprécier quasiment comme un objet de collection. Lorsque je repose les yeux sur ce boîtier élégant, les notes de la musique de Labyrinthia se rejouent dans ma tête et je me remémore les chapitres épiques de cette fable où mon héros chapeauté serait devenu le protagoniste d'une campagne de Donjons et Dragons...

Par Jirolondon
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